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Ayiti: Cette transition qui n’a pas encore commencé

Depuis 1986, la République d’Ayiti semble embourbée dans une transition vers la démocratie. Pierre Raymond Dumas parlait d’une «transition qui n’en finit pas». Gouvernement après gouvernement, président après président, régime après régime, la stabilité semble de moins en moins accessible.

Voilà 2 jours que le gouvernement d’Ayiti a été remanié. Le nouveau cabinet ministériel dévoilé, on devrait assister, la semaine prochaine à l’installation des nouvelles têtes dans leurs postes respectifs.

Ce nouveau gouvernement qui se veut «d’ouverture», est pour tenter d’apaiser les protestations contre le pouvoir en place et la grogne montante de la population.

Beaucoup de citoyens ayitien n’y croient plus. Pour eux, c’est une fatalité: personne ne se soucie du bien du pays ou du peuple ayitien! Depuis le départ du dernier président à vie, Jean-Claude Duvalier, et la volonté d’établir une démocratie, ne semblent défiler aux postes clés que des irresponsables soucieux uniquement de jouir des privilèges du pouvoir et d’amasser illégalement une fortune. Donc ceux-là ou d’autres, ça leur est égal.

Les partis de l’opposition, quant à eux, ne vont pas par quatre chemins: c’est ce régime-là qui pose problème. Un gouvernement, élargi ou non, ne peut améliorer en quoi que ce soit le sort du peuple avec un tel chef. Certains réclament même le départ du président Michel Joseph Martelly.

Très peu de gens, donc, nourrissent vraiment l’espoir de voir s’améliorer les choses en Ayiti. Je suis de leur avis, mais pas pour les mêmes raisons.

D’abord, je ne crois pas que tous ceux-là ayant occupé une fonction importante dans l’administration publique aient été de mauvaise foi. Si certains ont effectivement volé et pillé quelques caisses, je ne doute pas un instant que la majorité ait vraiment essayé de faire de leur mieux.

Ensuite, au sein même de ce gouvernement, je vois mal certaines personnalités se risquer à salir leur réputation en étant de mauvaise foi.

Le seul inconvénient, c’est que le mal dont souffre notre état n’est pas pris par le bon bout.

Depuis la Constitution de 1987, chaque régime, clamant haut et fort sa légitimité populaire (encore que…), ne jure que par « relance économique », « production nationale » et « développement durable ». Il agit comme un gouvernement héritant d’un pays déjà structuré et cherche à donner le cap sur des grands projets. À mon humble avis, c’est là notre erreur.

On ne peut bâtir un édifice sans bien structurer la base. Une république ne peut se construire sans que ces institutions soient fortes.

La justice par exemple n’est que l’ombre de ce qu’elle devrait être. Le système judiciaire ayitien ne représente aucune autorité. L’Exécutif et le législatif la tournent en bourrique chaque fois que l’occasion se présente.

Le Législatif n’a de force que sa capacité de nuisance. L’Exécutif ne semble en tenir compte ces jours-ci que pour préserver un semblant de stabilité et pour ne pas irriter l’International.

L’Exécutif est le seul pouvoir à donner l’impression d’une certaine autorité. Mais quand le prestige ne se rapporte qu’au titre plutôt qu’aux réalisations de la fonction, ce n’est que du théâtre.

Pour preuve? Les services dépendant de ce pouvoir sont encore le casse-tête de nos citoyens. Lorsqu’il s’agit de se rendre dans un bureau de l’administration publique pour réclamer un service, il faut souvent prévoir une journée (quand ce n’est pas plusieurs) et surtout, se préparer à surmonter les douze travaux Astérix.

Évidement, les lois existent. Pour toute négligence, incompétence, dérapage ou faute, il est dit comment y remédier. Et tenant compte de cela, on est enclin à accuser les hommes et femmes en poste.

Mais quand tout un peuple ne s’identifie pas à un système, comment et où trouver des citoyens pour le faire fonctionner ?

Beaucoup d’entre nous, ayitiens, nous sentons étrangers à la vie citoyenne. Les prétextes sont le dépit dû à nos mauvaises expériences, et le désintéressement nourri par notre petit confort. Mais la vraie raison est que nous n’avons jamais été éduqués comme citoyens. Nous n’ avons jamais travaillé notre rapport avec la Loi.

Et je crois, toujours avec mon humble regard de citoyen, que la lumière ne peut venir que d’ici: Le renforcement de l’État et l’éducation citoyenne du peuple. Autrement, démocratie et état de droit ne resteront que chimères. On aura beau faire venir des touristes, panser les routes, ériger des lampadaires, etc. Cela ne sera que «lave men siye atè»* tant qu’un gouvernement ne se résoudra pas à faire la transition : privilégier le renforcement et la dignité de chacune de nos institutions, suivant ce que prévoit la loi et éduquer le peuple à la véritable citoyenneté.

Ce n’est qu’une fois cette transition bien lancée que les autres développements pourront être durables et qu’on pourra voir au-delà de cette dite transition.

Tilou

—————- *expression créole-ayitien traduisant « Peine perdue »

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