J’ai fini par comprendre pourquoi le monde empirait, pourquoi les mœurs se dégradaient. C’est parce que les bonnes personnes vivaient moins longtemps que les méchantes.
Comment le sais-je?
Bon, je ne vais pas vous mentir en prétendant que cela me vient d’une enquête scientifique. C’est plutôt en assistant à quelques funérailles que je m’en suis fait une conviction.
Les homélies du pasteur ou du prêtre tournent toujours autour des grandes qualités (beaucoup de grandes qualités) dont a fait preuve le défunt.
« C’était un homme charitable. Ceux qui l’ont connu vous diront combien il était honnête, respectueux, avait un grand cœur.» etc. Si le défunt avait une famille, c’était immanquablement un bon père et un merveilleux époux.
Le célébrant ne peut être tenu coupable pour ces appréciations. Le plus souvent il se contente de reprendre ce qu’il appris de la famille endeuillée.
L’admiration témoignée aux défunts va plus loin encore. On se démène pour leur apporter ce dont on ne leur offrirait même pas le dixième de leur vivant. Par exemple certains qui réussissaient à peine à se nourrir obtiennent des funérailles coûtant des sommes qu’ils n’avaient jamais espéré compter de leur existence terrestre.
Bon, je conçois bien que l’on tienne à rendre un dernier hommage à un proche disparu et que l’on veuille qu’il s’en aille dans la dignité. Mais cela a-t-il encore un sens lorsqu’aucun effort n’avait jamais été tenté pour éviter ce départ?
Enfin de compte, je me demande pourquoi on a si peur de mourir, pourquoi s’accroche-t-on autant à la vie… parce que le défunt à tout pour lui: les meilleures qualités du monde, point de soucis et des amis et de la famille parés à s’endetter pour lui. Exactement ce dont rêvent les vivants.
…Et finalement, notre quête de bien vivre ne peut-elle pas se résumer à vouloir accéder aux privilèges réservés aux morts?
Tilou