(Texte de Tim Valda)
Comme si c’était hier, je m’en rappelle ma première visite à Port-au-Prince. Des 250 km qui nous séparent de la capitale, pour les gamins capois que nous étions mon frère et moi, la traversée fut longue, une vraie odyssée. Pour faire passer le temps, Mon père s’érigeait en guide touristique et identifiait les endroits, les recoins du pays. A chaque fois c’était l’émerveillement.
Arrivés a Port-au-Prince il nous a dit, « Port-au-Prince, c’est comme Paris, c’est la ville lumière ». Sortant de la route qui longeait la HASCO, on regardait ébahis à l’approche de l’autre cote de la baie de Port-au-Prince. On y voyait la centrale de Thor. Le port brillait de mille feux. C’était tout simplement merveilleux a nos yeux.
Mais la découverte de la Capitale avait pour nous un seul objectif : voir de nos propres yeux le Palais national. Il a fallu attendre une semaine, entre les tours et détours (Dieu qu’elle nous paraissait grande, la capitale), être gentils, polis et ne pas trainer le soir devant la télé. Le grand jour arriva. L’excitation est à son comble. Surtout pas la moindre gaffe. De la banlieue de Carrefour au centre ville… notre curiosité était a peine contenue.
Resplendissante, d’une blancheur éclatante, immaculée avec ses gazons verts, coupée a ras le sol… on regardait ces escaliers où le président recevait de la fanfare son « Ochan » !
Wow ! C’était comme a la télé et en plus beau : Le PALAIS NATIONAL.
On a presque fait le tour. Il paraissait immense. Seul l’étendard bicolore dressé au milieu se balançait dans le vide en suivant le mouvement du vent. On entrevoyait a peine les gardes fichus au fond de leurs guérites.
On ne pouvait pas s’approcher plus près. On était déçue. Mais Personne n’osa nous expliquer pourquoi.
Quelques années après, en déménageant à Port-au-Prince, notre école (Le Nouveau Collège Bird) était juste à deux blocs du Palais. Ce fut mon trajet pendant les 7 années à venir. Rien n’avait changé. Sauf que les passants, les curieux cette fois passaient à même le trottoir en laissant parfois glisser une main nonchalante sur la clôture de fer forgé. A moins que ce fut la lancée des couleurs.
Et là Hop : tout s’arrête. Les chauffeurs descendent de leurs véhicules, les écoliers droits et le buste haut. Seuls les notes de l’hymne national nous arrivent. Moment solennel. Rituel journalier où nos différences et nos divergences laissent la place a ce qui nous unit tous : On a un seul drapeau.
Plus de 20 ans après, je suis la assise au Palais. De la fenêtre donnant sur le pavillon Ouest, je regarde les grosses machines écraser sous leurs roues édentées les murs déjà marqués par la fissure.
Ce souvenir naïf de mon enfance est troublé par le bruit des pelleteurs. De temps en temps, un bruit assourdissant contraste avec le silence des lieux. Des secousses s’apparentant au 12 janvier qui ont eu raison de sa splendeur traverse toute l’enceinte.
Il est environ 4 h heures de l’après-midi. C’est l’heure de la sortie. Les employés un a un sortent et s’arrêtent. Le temps d’un regard. On chuchote. On commente entre collègues. Et puis on repart.
Le Palais n’est plus depuis le 12 janvier. Ca on le savait. Les plus incrédules ne croyaient à la magnitude de la catastrophe qu’après avoir constaté les colonnes majestueuses pliées sous le poids de la coupole, trait caractéristique de l’architecture néo-classique.
On s’y attendait explique un employé, mais c’est comme la dernière brique de la tombe, la dernière poignée de terre avant que tout finisse. C’est douloureux.
C’est comme si on nourrissait le rêve impossible de l’avoir a nouveau, avoue une autre. De revoir sa blancheur immaculée, son austérité. De revoir les parades. Le parcours du carnaval, s’arrêtant pour saluer la présidence.
Le Palais c’était plus que la résidence officielle du président, c’était aussi le patrimoine national. Celui de la mémoire de plusieurs générations.
Et aujourd’hui c’est une histoire qui se termine. Une autre est à reconstruire.